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S.O.S. Trésor

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Titre : S.O.S. Trésor

Auteur : © Hervé Hesté 2018

Genre : Nouvelle

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La plaine, maquillée des couleurs de l’automne, étendait son pelage dégradé jusqu’au sommet de la colline. Une légère bruine filtrait le paysage bigarré par la tombée du jour. L'atmosphère fraîche de début novembre saturait les nuances du panorama champêtre. Le chemin de gravier encore humide, que Paul et Jean avaient emprunté par erreur, apparaissait désert. 

 

- Quelle est la prochaine manoeuvre? demanda Paul en freinant légèrement pour éviter des volatiles médusés qui tardaient à décoller.

- Je ne sais pas! Nous aurions déjà dû traverser une voie ferrée, balbutia Jean affairé à consulter le journal de bord.

- Es-tu sûr qu'il fallait tourner? 

 

Jean remonta une mèche de cheveux folâtre, recula d'une page et lut l'étape numéro trois, à haute voix : 

 

- Rendu à l'intersection, vous aurez le choix de trois directions. Pour vous aider à prendre une décision, il faut résoudre l'énigme suivante : au buffet chinois, deux pères et deux fils soulignent un événement spécial annuel. À la fin du repas, Hubert, l'un des deux fils, propose de payer l'addition que leur présente la serveuse. Sachant que le prix par personne est de onze dollars, tout compris, combien lui en coûtera-t-il?

a) vingt-deux dollars, tournez à gauche;

b) quarante-quatre dollars, tournez à droite;

c) Aucune de ces réponses, continuez tout droit. 

 

Paul réfléchit un instant pour calculer l’énigme. Il aurait souhaité la présence de son père à ses côtés, car il connaissait bien ce genre de devinette. Pas de veine, une mauvaise grippe le retenait au lit. Dommage, car il prétendait avoir trouvé un moyen infaillible de gagner. Paul replaça ses lunettes de l'index et s’exclama :

 

- Trop facile! Il y a certainement une attrape, mais je ne vois pas bien de quoi il s’agit. Tu avais sans doute raison, il fallait tourner à droite.

- Quand même étrange qu'on n'ait pas encore traversé cette voie ferrée! fit Jean en refermant le manuel.

- Continuons un peu; une erreur de kilométrage est toujours possible. 

 

Paul et Jean ignoraient jusqu'à quel point leur attentisme leur ferait gagner du temps. Cette année, en substitut de son grand-père, Jean participait pour la première fois avec son père à la course au trésor interrégionale organisée expressément par le conseil municipal de Saint-Dormant-les-Ours. Chaque année, le gagnant de la compétition remportait un prix de cinq mille dollars. Durant la semaine du concours, touristes et participants affluaient en grand nombre dans la petite ville pittoresque. La région montagneuse se prêtait bien à ce genre d'événement disputé en trois épreuves. Paul se faisait un devoir d'y participer pour la troisième année consécutive.

 

Jean, jeune photographe amateur, panoramiquait les lieux à la recherche d'indices pouvant l'aider à reconnaître le chemin. Pas la moindre trace de voie ferrée. Sur le moniteur de son appareil photo apparaissaient des nuages nacrés de soleil à l’horizon. Soudain, il arrêta le mouvement et braqua une zone rocheuse ombragée. Au loin, dans la pénombre du coteau, à travers une rangée d’épinettes rachitiques, le spectre d’une grosse bâtisse sombre illumina son regard. Il zooma au maximum. Sur l'écran, il distingua une sorte de castel isolé. D’une fenêtre, une lumière clignotait en saccades. Jean passa en mode « prise de vue » et l'activa. Interloqué, il s'exclama fébrilement :

 

- Regarde papa, on dirait un signal.

- Comment ça!

- La fenêtre..., elle s'allume, puis elle s'éteint.

- Es-tu sûre que tu n'as pas la berlue?

- Mais non! regarde, trois petits… trois grands… et encore trois petits. 

 

Le visage en grimace et les yeux  mi-fermés par les rayons de l'horizon qui transperçaient la végétation, Paul tourna brièvement la tête, question d'observer sur l'écran le phénomène que Jean lui présentait en reprise. D'une voix grave, il reprit :

 

- Je crois qu'il s’agit d’un appel au secours.

- Que faisons-nous papa?

- Il faut aller voir de plus près.

- Et notre chasse au trésor, alors! reprit Jean, rembruni par sa découverte.

- Je n’ai pas le choix, quelqu’un a sûrement besoin d’aide, répondit avec chaleur le pompier volontaire.

- Sommes-nous vraiment obligés de faire ce détour?

- Aider les gens en détresse est un devoir civique qui n'a jamais nui à personne; tu verras, la vie te l'apprendra. 

- Tu m'avais promis que, si l'on gagnait, je pourrais m'acheter un nouvel ordinateur.

- Mais voyons! Tout n'est pas perdu; l'épreuve décisive n'aura lieu que demain.

- Oui! si l’on se classe aujourd'hui, parmi les dix premiers.

- Désolé! mais, pour l'instant, je réponds à ce message d’urgence , répliqua Paul en activant son clignotant pour tourner à droite et prendre la route vers une autre aventure. Jean arbora une moue contrariée.

 

La berline bleue emprunta le chemin cahoteux de terre battue, mutilé par l'érosion pluviale de l'automne. Les fragrances des occupants mélangées au fumet de leur blouson de cuir embaumaient l'air humide de l'habitacle. Paul avançait paresseusement en essayant d'éviter les nids de poule remplis à demi par la pluie tombée la veille. Plus ils s’approchaient, et plus les lieux se précisaient. Brusquement, le message lumineux s’arrêta net. Paul continua lentement et immobilisa sa voiture devant la barrière. La construction exhibait l’allure d’un petit manoir. Des jalousies bleues battaient au vent froid de l’automne. Des feuilles tombées des arbres couraient la gueuse après les débris qui jonchaient une pelouse herbeuse.

 

Tous ces actes conféraient à la scène l’aspect d’un théâtre abandonné. Avaient-ils été victimes d’une illusion d’optique? La scène filmée par Jean restait floue et ajoutait à leur méfiance. Les soubresauts des reflets du soleil couchant sur la fenêtre, à travers les conifères, les auraient-ils mystifiés?

 

Un écriteau, solidement ancré dans une brèche d’un gros roc de fière allure, indiquait noir sur blanc, aux étrangers, les dangers de s’aventurer au-delà de la clôture. Mais, le besoin de savoir subjugua leur crainte de la semonce du castelet. Paul et Jean décidèrent de transgresser l’interdit. Ils débarquèrent, poussèrent la lourde barrière et reprirent place à bord. Paul pilota la voiture jusqu’au perron conjoint à un porche sombre et peu invitant. Il stoppa le moteur, retira la clé de contact, l'enfouit machinalement dans une poche de son jean et ouvrit lentement la portière grincheuse. Jean prit quelques photos et sortit en retenant son souffle. Sans bruit, il referma la porte et rejoignit son père à pas de loup. D'un pas prudent, ils montèrent les cinq marches qui menaient à l'entrée déserte. Paul et Jean se dévisagèrent, inquiets. Allaient-ils trop loin? Devaient-ils abandonner leur démarche? Quels dangers les menaçaient?

 

Paul agrippa le heurtoir écaillé par l’usure du temps et frappa trois coups furtifs. Il épia, à travers la fenêtre latérale, l’arrivée du tenancier. Néant. Personne ne se manifesta. Paul essaya de nouveau. Rien. Aucun signe vital. D'un geste spontané, il tourna la poignée et poussa la porte qui s’ouvrit, comme par prodige, sans opposer de résistance. Surpris, Paul lança un coup d'œil perplexe vers Jean. Ébahi, bouche bée, Jean écarquilla les yeux. 

 

Intrigués, ils pénétrèrent la demeure. Ils épièrent l’ambiance sombre de la pièce à la recherche de traces de vie. Si l'extérieur laissait à désirer, l'intérieur, lui, se laissait désirer. Une exhalaison d'encens imprégnée d'un arrière-goût de putrescence imbibait les lieux. Au-dessus d’un foyer, la hure empaillée d’un ours noir observait rageusement sa fourrure trouée, qui ornementait triomphalement la façade de l'âtre. Sur le mur de plâtre tapissé de bandes à motifs fleuris, un fusil accroché sous la tête de la bête trônait en ennemi vainqueur du combat fatal qu'avait dû mener l'animal.

 

- Un chasseur ou un braconnier habite sans doute ici, chuchota Jean. 

 

Dans un recoin protégé des regards indiscrets, sur un secrétaire adossé à un mur de briques balafrées, une photo dans un encadrement en bois, griffé à l'année deux mille, affichait un portrait de famille. Elle retenait prisonnier les photons d’un feu de camp et les reflets de trois chasseurs réchauffés par les flammes et taquinés par les étincelles. En arrière-plan, attaché aux pare-chocs, un cerf dix cors coiffait le toit d'un « Land Rover ». Comme pour ajouter à l’ambiance nébuleuse, à proximité du cadre, un couteau à dépecer dormait dans un fourreau maculé. Un polar d’Agatha Christie marqué d’un signet effiloché gisait à ses côtés. Plaqué au mur, au-dessus du secrétaire, un Magritte conférait à l'ensemble un caractère plutôt insolite. 

 

À environ quatre mètres en face, les coussins d'un fauteuil angulaire de cuir fauve parsemaient en désordre le plancher du salon. Des débris de bibelots mutilés jonchaient une table basse en chêne. Un peu plus loin, deux vivaces rustiques extirpées de leur pot, les racines dénudées, expiraient sur le sol inhospitalier. Dans un autre coin, un bar à boisson en bois, de fabrication artisanale, recouvert de cuir brun capitonné recelait bière, vin et spiritueux. Un globe terrestre vétuste et éventré agonisait à une extrémité du bar. Un litre de bon vin débouché et vide aux trois quarts encombrait l'autre extrémité. Tout ce désordre sentait l'invasion domiciliaire à plein nez. Arrivé au bout de la place, Paul fit signe à Jean de vérifier le couloir de gauche tandis qu'il continuait son exploration. 

 

Jean s'engagea dans le passage et aboutit dans une pièce sombre. Dehors, le soleil déclinait. Seule la lumière blafarde d'une fenêtre clapotait dans ses yeux. L'air transpirait les squames de papier . Jean ressentit une légère démangeaison sur les mains et au visage ce qui le porta à se gratter. Il scruta négligemment le décor obscur sans trop discerner l'ameublement. La lueur d'une bibliothèque l'attira. Il avança vers le meuble quand, soudain, son pied droit heurta un objet lourd couché au sol. 

 

- Aïe! mais qu'est-ce que c'est? Un corps... Un cadavre ?  pensa Jean en reculant d'un pas, le coeur emballé d'affolements à la perception d'une forme allongée par terre.

 

*

 

Durant ce temps, Paul visitait la cuisine. Toutes les portes d'armoires bâillaient, grandes ouvertes. Les tiroirs reposaient pêle-mêle sur le plancher de céramique. Leurs contenus jonchaient la table et le comptoir. Une odeur fétide de poisson avarié empestait l'atmosphère. Dans l'évier, un saumon lacéré ne pouvait nier sa culpabilité. Quelqu'un cherchait! Mais, quoi au juste? Des bijoux, de l'argent, des cartes, un code d'accès, un mot de passe, la clé d'un coffre, de la drogue peut-être? L'odieux personnage se trouvait-il encore dans la demeure? La fin abrupte du signal de détresse en confirmerait-elle la menaçante présence?

 

*

 

Nerveusement, Jean se pencha et essaya, par tâtonnements, d'identifier la masse inerte. Il se releva, soulagé. Ses mains tremblotantes avaient reconnu un paquet de livres amoncelé sous le tapis. Quelqu'un avait renversé les rayons du meuble. Qui? Un voleur! Pourquoi? S'il cherchait des objets de valeurs, une bibliothèque constituait vraiment le pire endroit pour les cacher. Et pourquoi le tapis avait-il été retourné sur l'amas de livres? On trifouillait autre chose.

 

Paul et Jean se rejoignirent dans la grande salle. 

 

- La salle de lecture est complètement sens dessus dessous.

- Idem pour la cuisine; c'est le fouillis total.

- On devrait aller chercher de l'aide, bredouilla Jean.

- Pas tout de suite..., attendons encore un peu , répliqua Paul, grisé d'une présomptueuse témérité.

 

En se retournant, Paul remarqua une porte sous le grand escalier. Il l'atteignit et l'ouvrit. Une descente de marches en bois menait au sous-sol. Le passage se cachait dans une obscurité suspecte. Paul repéra trois interrupteurs et les commuta tous. La cave s'illumina. Ils descendirent. Les craquements de leur pas baignaient dans l'ambiance d'un silence inquiétant. Ils débouchèrent dans une salle spacieuse aménagée en cinéma maison. La pièce restait muette, sans séance ni spectateurs. Son apparence récente et les effluves de neuf qui en émanaient contrastaient avec l'allure vieillotte de certains autres aspects de la maison. Sur la droite, une porte ouvrait sur une pièce en rénovation. Étendue par terre, une pile de bois dégageait l'essence de chêne. Un dessin épinglé sur un mur montrait l'aménagement d'un cellier. À l'arrière, une porte entrouverte les invita dans un atelier. Des plans d'architectures dormaient sur une table à dessin. Un ordinateur partageait la surface d'un bureau avec une pile de factures et des disques compacts. Un classeur noir montait la garde tout près de la porte. Un établi en bois et un coffre à outils en tôle longeaient le mur du fond. Dans une petite salle attenante, un vieux système de chauffage et un réservoir à eau chaude presque neuf se dressaient au garde-à-vous, prêts à réchauffer les corps et les coeurs des âmes de la maisonnée. En face d'eux, un congélateur ronronnait sans gêne pour conserver les viandes de gibier sous zéro. Sur un autre mûr, dissimulée derrière un vieux rideau, une porte en métal, verrouillée à double tour, bloquait hardiment les secrets de son intimité. Une visite rapide du reste des lieux les convainquit de l'absence criante de vie. Contrairement au rez-de-chaussée, ici tout semblait en ordre. Assurément, le voleur ignorait l'accès au sous-sol ou n'y était pas intéressé. Était-il un habitué des lieux? Savait-il où chercher? Avait-il trouvé?

 

Bredouilles, ils remontèrent. En refermant, Jean échappa la porte qui claqua bruyamment. Il affichait encore un visage contrit quand, soudain, des bruits d'objets qui tombent, en provenance de l'étage supérieur, les firent sursauter. Leurs yeux se braquèrent mutuellement d’intrigues. Leurs regards se tournèrent tout doucement vers la source sonore et guidèrent leurs pas hésitants vers le chahut. À peine étaient-ils arrivés au palier du grand escalier, une sternutation garrottée émergente de derrière une porte de chambre les prit par surprise. Paul et Jean se hâtèrent vers la source de l'éternuement. Trois portes closes les narguaient en bloquant leur course à trois pas du mystère. Par laquelle commencer? Hésitant, Jean ouvrit la première; une salle de bains. Paul franchit la seconde; vide. La chambre exhalait des odeurs d'absence humaine. 

 

Paul sonda la troisième. Le pêne en gâche bloquait l'ouverture. Il assena un coup de pied à hauteur de serrure. L'embrasure résista. Des cris de paniques étouffés retentirent de l'intérieur. Quelqu'un courait un grave danger. Le temps pressait. Paul plaqua la porte d'un bon coup de deltoïde. Il la sentit craquer. Il regarda Jean, lui fit signe en se frappant l'épaule de deux tapes rapides puis pointa la porte de l'index. Jean comprit l'urgence et acquiesça d'un mouvement de la tête. Les cris cessèrent. ? Le bruit d'un corps qui tombe au sol bouscula l'air de leurs tympans. Arrivaient-ils trop tard? N’écoutant que leur instinct de gaillard, ils s’élancèrent à l’unisson et enfoncèrent d’un double coup d’épaule. 

 

Ils envahirent la grande chambre en coup de vent. Personne en vue. Un parfum de lavande flattait leurs narines. Le lit en chamaille interpella Paul :

 

- Il y a certainement eu lutte ici! Mais où sont donc passés victime et agresseur? Vite! les garde-robes  

 

D'un coup, Jean coulissa la porte-miroir de la garde-robe située à gauche du lit. Prudemment, Paul fouilla. Il n'y trouva que du linge de femme. Ils s'approchaient de l'autre garde-robe quand soudain, au bout de la commode, deux pieds ficelés firent brusquement irruption. Paul et Jean tressautèrent de frayeur et se figèrent sur place. Un gémissement plaintif les fit réagir. Ils se précipitèrent à l'autre côté du lit. Ils découvrirent, coincée entre les deux meubles, une quinquagénaire abasourdie, pieds et poings liés, dans une posture inconfortable. La pauvre s’était empêtrée dans les couvertures enchevêtrées et avait culbuté sur le plancher. Elle s'était assommée. Ils s’empressèrent de libérer la prisonnière, l'aidèrent à se relever et l'invitèrent à récupérer sur un fauteuil.

 

- Ah! Merci beaucoup, échappa anxieusement la frêle dame en transe dans une articulation verbale anémique. Je désespérais de voir quelqu’un venir me secourir.

- Restez sans crainte, madame, nous allons vous aider, répliqua Paul d’une voix rassurante en déclinant son identité et celle de son fils. 

- Je viens d’être victime d’un vol, continua-t-elle d’un souffle pantelant d’effroi.

- Mais que s’est-il donc passé? questionna Paul, intrigué.

- Il y a trois heures environ, je préparais un poisson pour le souper quand un malfrat portant cagoule a envahi la place alors que je lui ouvrais imprudemment la porte. 

 

Hélène ravala une bouffée d'amertume et exhala un soupir de déception. Elle se lécha furtivement les lèvres et toussota nerveusement. Jean demanda si elle avait soif. Hélène acquiesça et continua le récit : 

 

- Il m'a forcée à l'accompagner dans ma chambre d'une manière cavalière. Il avait un accent étranger et vociférait au sujet d'une clé et d'un tas d'objets de valeur cachés dans - Hélène hésita un instant - un endroit, je ne sais où. Je ne comprenais rien à ses balivernes. J'étais sous le choc. Comprenant qu'il ne tirerait rien de mon agitation hystérique, il se mit à ouvrir les tiroirs de bureau. Pendant qu'il était occupé à fouiller, j'ai voulu lui fausser compagnie. Mal m'en prit. Il m'a rattrapée et jetée sur le lit. 

 

Hélène s'arrêta un instant, s'essuya le visage de la main et continua :

 

- J'avais beau me débattre, il est parvenu à m’attacher les mains dans le dos, à me ficeler les pieds, à me bâillonner et à me bander les yeux. À bout de force, je me suis effondrée. C'était horrible, je l'entendais fouiller partout dans la maison. 

 

Jean, revenu de la salle de bains, servit un verre d'eau à Hélène. Elle en but une gorgée.

- Merci, ça va beaucoup mieux maintenant. 

- Mais, que voulait-il au juste?  reprit Paul.

 

Hélène surprise par l'insistance de Paul resta pantoise, le coeur en bataille. Elle ne voulait pas tout dévoiler; du moins, pas tout de suite. Qui sait peut-être que le voleur n'avait pas trouvé. Hélène calma sa stupeur et répondit évasivement :

- Je ne sais pas : de l'argent, des bijoux et... tout ce qui avait de la valeur, je suppose.

- Vous a-t-il volé quelque chose?

- Il a vidé mon sac à main. Je crois qu’il m’a pris de l’argent et mes cartes... de crédit. Elle retrouva subitement ses esprits. Hélène prise de panique s'exclama : ha mon Dieu! la carte, j'espère qu'il n'a pas trouvé le...

 

Hélène arrêta de parler sec et se précipita sur le bureau. Elle prit son sac à main, l'ausculta sous toutes les coutures et en sortit un bout de papier qu'elle avait dissimulé dans une déchirure de la doublure. Elle l'enfouit presto dans une poche de son pantalon.

 

- Qui a-t-il? Qu’y a-t-il ? interrogea Paul.

- S'il eût fallu que cette information tombe aux mains du voleur, je n'ose imaginer les conséquences désastreuses dans lesquelles j'aurais pu me retrouver, grimaça Hélène en se frottant les poignets meurtris pour en chasser la douleur. 

- Que serait-il advenu? questionna Paul, embrouillé par les propos d'Hélène.

- Plusieurs heures de travail auraient été anéanties, mais, enfin, passons, puisque ce ne sera pas le cas.

- Vous a-t-on volé autre chose? reprit Paul, farci par la curiosité d'élucider le mystère qui germait.

- Ma montre en or, mes bagues et mes colliers ont aussi disparu , rajouta-t-elle en lorgnant le coffret renversé et resté ouvert sur le bureau. 

 

Paul expliqua à Hélène le désordre à l'étage inférieur. Elle avait peine à croire et demanda à voir. En descendant, Paul s'enquit de la vie d'anachorète que menait Hélène dans ce lieu isolé. Elle rectifia la méprise et raconta, qu'à titre de bénévoles pour la chasse au trésor, son fils Hubert, son mari et son beau-père, avaient dû s’absenter pour la journée. Elle ajouta qu'ils avaient acheté le manoir à bon prix dans le but de le rénover. Rendue au premier, Hélène porta les mains au visage horrifié par la scène pénible qui s'offrait à elle. Elle jeta un coup d'oeil inquiet vers le secrétaire et afficha une mine rassurée.

 

Encore abasourdi par les événements, Jean écoutait évasivement en s'interrogeant sur l'issue de la course et l'imbroglio qui les avait projetés dans cette aventure qui lui semblait interminable.

 

Paul s'informa au sujet de la porte barrée et du signal lumineux. Hélène expliqua :

 

- Je pensais que le voleur pouvait revenir dans la chambre pour me torturer s'il ne trouvait pas ce qu'il cherchait. J'ai réussi à débarquer du lit et à barrer la porte de l'intérieur. Puis, dans un sursaut de lucidité, j'ai atteint le bouton de la lampe de chevet pour envoyer un S.O.S.. Après un certain temps, ne sentant plus la chaleur de l'ampoule sur mes avant-bras, j'ai conclu que malheureusement le filament avait fini par griller. Désemparée, je me suis accroupie contre le pied du lit et j'ai pleuré; de rage ou de désespoir, je ne sais plus. Je me suis assoupie un moment. En entendant claquer la porte, j'ai pris peur et j'ai pensé qu'il valait mieux pour moi que je rembarque sur le lit et feigne l'inconscience. J'ai alors renversé la sculpture inuite et le radio-réveil. Lorsque je vous ai entendu frapper la porte, j'ai pris panique et j’ai crié en mordant mon bâillon. 

 

Paul aida Jean à ramasser les coussins. Ils s'assirent. Paul reprit sur un ton stoïque :

 

- Je crois qu’il faut appeler la police.

- Je pense que vous avez… 

 

Hélène, en direction du téléphone, n’eut pas le temps de terminer sa phrase. D'un geste synchrone, le trio hébété tourna sitôt la tête vers l'extérieur. Un son strident de sirène annonçait la venue fracassante d’une patrouille automobile. Dans un tourbillon vertigineux, les gyrophares en action éclaboussaient de rouge et de bleu le paysage endormi dans la pénombre du crépuscule.

 

Des claquements de portière bombèrent l'air. Deux policiers débarquèrent de l'auto et dégainèrent leur arme. Ils examinèrent le véhicule de Paul au passage et montèrent prudemment jusqu'à l'entrée. Craignant le quiproquo, personne n'osait bouger de l'intérieur. Les policiers pénétrèrent la demeure, l’arme à la main. 

 

Après s’être sécurisés, ils rengainèrent et vérifièrent l'identité de Paul et de Jean. Puis, les agents se présentèrent et l’agent Taillon expliqua la raison de leur irruption quelque peu excentrique. 

 

- Il y a deux heures environ, grâce à la perspicacité du propriétaire de la joaillerie de la rue Principale, nous avons arrêté un individu, de sexe masculin, qui essayait de vendre des bijoux de provenance douteuse. 

 

 

L’agente Cloutier poursuivit :

- Le voleur, inconnu de nos services, se trouve maintenant derrière les barreaux de la prison municipale. Un interrogatoire serré a permis d’établir la provenance de son butin.

- Étant donné  le peu de temps écoulé entre le délit et l’arrestation, nous avons décidé de contrôler le manoir pour vérifier si tout allait bien pour vous, Madame Langlois, reprit l’agent Taillon.

 

- Ça va beaucoup mieux maintenant que monsieur Talbot et son fils m’ont libéré, répondit Hélène. Le visage rubescent et imbu de fierté par la sagacité du policier qui l’avait reconnue, Hélène reprit:

- Avez-vous retrouvé mes bijoux? s'informa-t-elle, les traits transformés par les tracasseries qui occupaient son esprit.

- Pour l'instant, nous gardons les bijoux comme pièce à conviction. Vous serez bientôt convoquée pour l'identification. Ils vous seront rendus à la fermeture du dossier. 

- Ah bon! d'accord! Y a-t-il autre chose que je devrais savoir? s'inquiéta Hélène.

- Éméché et embarrassé par l'interrogatoire, le cambrioleur fourvoyé a révélé malgré lui son intention de vous dérober la clé de la... 

 

Sans plus de courtoisie, Hélène interrompit prestement Taillon.

 

- Je vous prie monsieur l'agent, pour l'instant je souhaiterais ne pas divulguer l'utilité de ce document, car l'affaire concernée est toujours en cours. 

- Bien entendu, je comprends votre réticence, d'autant que, si l'escroc avait réussi la dérobade du dossier en question, il aurait pu en faire des copies et les monnayer aux plus offrants , répliqua l'agent.

 

Un silence lourd envahit la place. Paul s'éclaircit la gorge et poursuivit la discussion afin de dissiper le malaise diffus qui s'installait.

 

- Et, maintenant, comment pouvons-nous aider la police? lança Paul.

- Nous prendrons la déposition de madame et enregistrerons sa plainte. Quant à vous deux, il suffit de nous laisser vos coordonnées et nous vous convoquerons au besoin, expliqua la policière en sortant la paperasse officielle. 

 

Finalement, les policiers informèrent Hélène de la poursuite de l’enquête, laquelle devrait mener à la condamnation du coupable. Puis, ils quittèrent les lieux en catimini. 

 

Hélène voulut alors récompenser ses sauveteurs en compensant le retard infligé par leur détour obligé.

 

- Mais, à quel heureux hasard vous dois-je tant de gratitude?  demanda Hélène d’un air serein.

 

Paul raconta par quelle coïncidence leurs chemins s'étaient croisés. Hélène leur expliqua l'énigme de l'étape trois que son mari avait proposée aux organisateurs de la course à la demande de la mairie. Paul et Jean comprirent l'imbroglio. Deux plus deux égalent trois lorsqu'il s'agit d'un grand-père, d'un père et son fils. Paul s'en voulait de ne pas avoir résolu l'énigme puisque, cette année, Jean, son fils, avait remplacé son père comme copilote du rallye.

 

- Chasseurs de trésor, me disiez-vous, fait Hélène d’un sourire narquois; eh bien! je crois que je peux maintenant vous aider à mon tour.

- Ah! oui, et comment allez-vous accomplir ce miracle? interrogea Jean avec un brin de scepticisme.

- Je détiens une information qui pourrait vous être très utile, répondit-elle en se dirigeant vers le secrétaire.

- Mais que faites-vous? s'exclama Paul.

 

Hélène glissa le Magritte sur la gauche, reprit le bout de papier de ses poches, le lut en détail, tourna la molette du coffre-fort plusieurs fois dans les deux sens, l'ouvrit et en retira une grande enveloppe estampillée « DOCUMENT CONFIDENTIEL ».

 

- Voilà ce que cherchait notre voleur, annonça Hélène en exhibant l'item. Heureusement, il ne l'a pas trouvé, car j'ai pu le déjouer en mimant l'hystérie. Pour vous récompenser, je veux vous faire profiter de son contenu à la condition expresse que le tout reste notre secret, continua Hélène d’une voix diplomate, mais convaincante.

 

Paul et Jean promirent de garder le silence. Hélène ouvrit l'enveloppe et en sortit une clé USB et une feuille qu'elle lut attentivement. Puis elle plia la feuille en deux, la plaça, avec la clé, sur le roman d'Agatha Christie et ramassa le tout de la main droite. Elle invita Paul et Jean à la suivre au sous-sol. Rendue dans la salle-cinéma, elle les pria de s’asseoir et d'attendre son retour. Elle se rendit à l'atelier et alluma l'ordinateur. Elle ouvrit le roman à la page marquée du signet et prit note du mot surligné. Elle ouvrit une session, entra le mot de passe, démarra internet et accéda au site municipal. Elle navigua jusqu'à une page protégée et réservée aux élus. Elle tapa un code d'identification et un autre mot de passe qu'elle avait lu sur la feuille. Elle sélectionna un dossier. Une invite lui demanda d'insérer la clé USB; ce qu'elle fit. Elle téléchargea le dossier et en grava un disque compact. Elle retira la clé et le CD et rejoignit ses sauveteurs.

 

Hélène s'excusa pour l'attente suscitée et promit qu'ils ne perdraient pas au change. Elle alluma le système cinéma, inséra le CD et démarra la lecture. L'écran afficha un menu permettant la sélection de trois cartes géographiques de la région. Hélène expliqua qu’à titre de conseillère, elle pouvait leur dévoiler l'endroit où le trésor se cachait et les points de contrôle du parcours de chaque épreuve. Paul et Jean débordèrent de joie. Elle leur montra, cartes à l'appui, que cette année, le pactole se trouvait enfoui dans l’ancienne fosse aux ours près de la cabane à sucre d’Alphonse Laurin, un commerçant bien connu de la place et propriétaire du terrain de camping municipal. Avec cette information, les Talbot pouvaient rattraper le temps perdu et terminer l'affrontement de la journée parmi les dix premiers. Ils partirent, persuadés de remporter la dernière épreuve du lendemain. Et Paul d’ironiser sur leur conjoncture imprévue.

 

- Vois-tu Jean, quelquefois dans la vie, rien ne presse de chercher un trésor dans la bruine, s’il faut d’abord porter secours à madame l'échevine! 

 

Paul regarda Jean d'un sourire moqueur; ils éclatèrent de rire.

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