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Rupture à double tour

25 mai 2005 - 1 sur 1.png

Titre : Rupture à double tour.

Auteur : © Hervé Hesté 2019

Genre : Nouvelle

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Aussitôt entrée chez elle, Mélanie s’empressa de se brancher sur le web et ouvrir la télé pour obtenir plus d’information concernant un terrible événement arrivé dans la journée. « J’espère qu’Alex n’y était pas… pourquoi tous mes appels sont-ils restés sans réponses? Ah mon Dieu! j’espère que Alex s’en est… » Un 'bip'

sortit Mélanie de ses divagations pour lui annoncer un courriel en provenance d’Alex. Mélanie l’ouvrit nerveusement en affichant une mimique presque hystérique :

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« De : Alex Trépanier, Boite de réception - Vidéotron, aujourd’hui, 09:50

À : Mélanie Fréchette

Objet : Notre avenir

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Mélanie, mon amour.

Quand tu liras cette lettre… »

 

*

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Mélanie, une femme simple et un peu émotive, sait profiter de la vie au jour le jour du bout de ses trente-deux ans. Elle est technologue-biochimiste et travaille pour un laboratoire privé d’analyse pharmacologique de Laval situé non loin de chez elle. Mélanie n’aime pas voyager. Sociable, elle aime bien la compagnie des siens et de ses amis.

 

*

 

Tôt, la veille au matin, Alex était déjà debout et préparait son voyage d’affaires en destination du bureautel de sa compagnie situé au cinquantième étage d’un édifice élitaire de New York. Alex possède un diplôme universitaire en pharmacologie et oeuvre en tant que mandataire commercial pour une importante compagnie de biosanté. Son emploi l’amène à voyager à travers le Canada et les États-Unis. Alex aime voyager et son travail lui procure beaucoup de satisfaction. Abordant la quarantaine, Alex a déjà fait une dépression, suite à une surdose de stress accumulé à son travail, il y a un peu plus de dix ans. Cela l’incitait à prendre de bons bains chauds et d’avaler, au besoin, certains médicaments en fonction des chavirements de la vie. Lors de vague à l’âme plus intense, la drogue douce lui procurait, à l’occasion, un état de félicité pour l’aider à passer au travers. Quelques clients compréhensibles, rencontrés lors de ses voyages d’affaires, lui ont permis de se dresser une liste de contacts qui peuvent lui obtenir, assez facilement, la dope désirée. Alex est du type solitaire enthousiaste, affiche un comportement rationnel et gère assez bien les situations compliquées. C’est une personne ayant un bon sens des affaires et c’est d’ailleurs pour toutes ces qualités qu’Alex a pu obtenir son lucratif emploi. 

 

Alex et Mélanie sont en union libre depuis une dizaine d’années. Au début, c’était l’amour-passion, mais comme pour la plupart des couples qui vieillissent, leur relation s’effritait peu à peu. Cette situation exaspérait Alex de plus en plus qui pensait que Mélanie voulait voir ailleurs. Mélanie lui était cependant fidèle et n’en faisait pas trop de cas malgré les oublis et les regards vides qui habitaient Alex depuis quelque temps. Elle se disait que ce n’était qu’un mauvais passage et que les choses viendraient bien qu’à se placer d’elles-mêmes avec le temps. 

 

Dérangée par l’activité qui régnait, Mélanie se leva, donna à manger au chat et prépara le petit déjeuner. Alex rejoignit Mélanie dans la cuisine et prit place à la table. 

« Combien de temps pars-tu déjà? demanda Mélanie en déposant sa tasse de café.

- Si tout se déroule comme prévu…, je serai de retour mercredi en fin de journée, répliqua Alex en mâchouillant une bouchée de sa rôtie.

- Vas-tu trouver le temps de penser à notre discussion de la semaine dernière? 

- À quoi fais-tu allusion ? reprit Alex, l’esprit un peu distrait.

- Tu sais très bien de quoi je parle… et ne fais pas semblant d’avoir oublié à propos de notre Devis ».

 

Au début de leur vie commune, Alex et Mélanie avaient fait l’acquisition d’un chat jaspé âgé de quatre ans. Mélanie l'avait baptisé astucieusement « Devis » du fait que souvent Alex apportait, à la maison, des devis d'achat pour les terminer à la dernière minute avant la rencontre d’un client important. Mélanie se sentait négligée et n’aimait guère qu'Alex donne plus d’importance à son travail qu’à s’enquérir de ses envies d’évasion du train-train quotidien. En donnant ce nom à leur chat, Mélanie narguait gentiment Alex en lui disant qu’elle aussi avait un « devis » à s’occuper. Maintenant âgé d’une quinzaine d’années, Devis souffrait de vieillesse, ce qui attristait Mélanie à la pensée d’être obligée d’abréger ses tourments. Elle attendait l’avis final d’Alex qui n’arrivait pas à se décider.

 

« Bon d’accord, j’essayerai de trouver du temps, continua Alex en sortant de table.

- Promets-moi que tu prendras une décision et que cette fois-ci tu tiendras ta promesse. Jure-le-moi, insista Mélanie. 

- Oui, oui, je le ferai, même si cela doit te surprendre, mais pour l’instant je dois me préparer, car le taxi va bientôt être là. » Ce matin-là, Mélanie était loin de se douter à quel point Alex disait vrai?

 

Cinq minutes plus tard, un coup de klaxon rappela à Alex que l’heure du départ était arrivée. Alex enlaça Mélanie très fort et l’embrassa tendrement comme pour clore, une dernière fois, les jeux amoureux de leur nuit passée. Mélanie émit un fugitif, « Bon voyage… fait attention à toi ». Alex lui souhaita une bonne journée, sortit et prit le chemin pour l’aéroport Pierre Elliott Trudeau.

 

*

 

Dans l’avion qui l’emmenait vers sa destination, Alex essayait de mettre de la cohésion dans les appréhensions qui ne cessaient de tourmenter son esprit depuis une semaine. Suite à une visite médicale annuelle et à quelques examens complémentaires demandés expressément par son médecin de famille, Alex avait appris une très mauvaise nouvelle. Une maladie dégénérative envahissait son cerveau. Le diagnostic était tombé brusquement, comme la descente malicieuse d’un couperet.

 

« Je dois malheureusement vous informer que la maladie d’Alzheimer envahit votre cerveau. Il est très rare que cette maladie touche les gens de votre âge. Mais hélas! les résultats de vos tests et vos réponses au questionnaire confirment que la maladie est du type héréditaire. Les tristes conséquences de cette maladie sont que vous allez perdre, petit à petit, votre autonomie, lui avait annoncé son médecin sur un ton insipide.

- Mais comment puis-je donner suite à ma situation? Interrompit Alex d’un air contrarié.

- Je vous conseille de prendre rendez-vous avec votre CLSC, car vous y trouverez l’information due à votre état psychologique et physique, et une aide précieuse. Il serait aussi important que vous informiez votre conjointe de votre nouvelle situation de santé et discutiez, avec elle et avec un notaire, d’un contrat d’inaptitude. Vous savez, le traitement de votre cas demandera beaucoup de courage et d’abnégation de la part de votre conjointe si elle décide de prendre soin de vous lorsque vous commencerez à perdre vos facultés mentales. Je vous donne rendez-vous dans un mois pour évaluer la progression de la maladie ».

 

Une semaine avant son départ, toujours engourdi par son état de santé précaire, Alex, n’avait pas encore trouvé le courage d’en parler avec Mélanie. Ce matin-là, Alex partit le coeur vide d’émotions et la tête pleine d’idées noires.

 

*

 

Dès son arrivée à New York, chemin faisant, Alex s’arrêta à son hôtel pour déposer ses affaires et continua sa route jusqu’au bureautel. Sitôt sur place, Alex fit un court appel téléphonique à un de ses contacts et prépara les dossiers des trois clients que son gérant lui avait assignés pour la journée. Puis, à la fin de l’après-midi, les visites de ses clients étant chose du passé, Alex se rendit à une adresse privée pour prendre livraison d’un petit paquet qu’il lui fallut payer en argent comptant et entra directement à son hôtel. N’ayant pas très envie de sortir et subir le bonheur indolent des autres, Alex décida de se faire livrer à souper. Ce soir-là, Alex mangea sa pizza en broyant du noir et en avalant ses émotions angoissantes.

 

Un peu plus tard dans la soirée, pour chasser l’amertume de son âme meurtrie et apaiser les tourments de sa journée astreignante, l’idée lui vint de sélectionner une musique relaxante et de se faire couler un bon bain chaud pour se détendre. Alex se déshabilla, endossa la robe de chambre en ratine de l’hôtel et ouvrit les robinets du bain-tourbillon. 

 

Tel un voyeur pudique, Alex laissa tomber sa robe de chambre et épia sa nudité dans la glace de la vanité en se demandant comment la vie pouvait être complice d’une telle controverse entre la vitalité de son corps et la défaillance de sa mémoire. Alex versa du sel de bain, activa les jets de la baignoire, y entra et s’étendit, sur le dos, de tout son long. 

 

« Comme il est agréable de constater que les petits plaisirs de la vie existent toujours et que mon esprit et mon corps peuvent encore les savourer. » L’ambiance agréable de la musique, ajoutée aux chaudes caresses pulsatives de l’eau fit émerger dans son cœur et dans son âme la mémoire de souvenirs romantiques. La nostalgie et la tristesse s’emparèrent alors de l’esprit d'Alex, encore déchiqueté par les supplices de l’inquiétude. 

 

« Si au moins Mélanie avait pu être ici, l’amour aurait pu être au rendez-vous, probablement, une dernière fois ». La seule pensée de cette possibilité éveilla en Alex une émotion des plus sensuelle, mais combien remplie de tristesse. Les haut-parleurs chuchotaient une musique langoureuse qui lui rappela l’ambiance érotique et lascive de ses derniers chassés-croisés amoureux avec Mélanie. Les pensées lubriques qui envahissaient petit à petit son esprit éveillèrent, dans tous les recoins de sa chair, des pulsions et des tensions sexuelles auxquelles son âme puritaine tenta de résister un moment. C'est alors que son esprit, encore engourdi par les affres du doute, tenta avec plus ou moins de fougue d'entraîner Alex dans la délivrance extatique des jouissances intimes. Alex sans trop vouloir le savoir se laissa emporter par l'ambiance du moment à céder à l'envie qui tiraillait son âme de tous ses sens et dans tous les sens. Mais, dans un élan de retenue imprégné d’une morale intimidante, Alex étouffa ses instincts confus, sortit du bain, s’essuya à la sauvette et enfila sa robe de chambre un peu comme pour cacher la gêne et l’embarras que lui infligeait le regret du coupable.

 

Ses émotions apaisées, Alex pensa appeler Mélanie pour tout lui avouer, mais se ravisa et ouvrit son laptop pour commencer une lettre explicative à Mélanie.

 

À : Mélanie Fréchette

Objet : Notre avenir.

 

Mélanie, mon amour.

Quand tu liras cette lettre, il y a de fortes chances que la flamme de notre amour en vacille un coup. J’ai beaucoup hésité avant de t’en parler, mais aujourd’hui je n’ai plus le choix, je te dois la vérité sur la précarité de notre relation future. Tu as sans doute remarqué que depuis quelque temps, je ne semblais pas être toujours avec toi. À cela, il y a une très bonne raison que je peux et dois t’exposer maintenant. Voilà, il y a une semaine, mon médecin m’annonçait que j’avais la forme familiale, rare, de la maladie d’Alzheimer. Il a fallu que je tire le mauvais numéro. Les conséquences de cette grave maladie sont la décadence de ma mémoire, le déclin insidieux de mon autonomie, la démence et la perte inexorable de ma dignité. À cela il faut aussi ajouter, le lourd fardeau qu’il te faudra supporter autant physiquement que psychologiquement. Et c’est cette vision du futur qui m’attriste le plus, car je ne voudrais m’y astreindre pour rien au monde. En te quittant hier matin, tu m’as fait jurer de tenir ma promesse, mais jamais je n’aurais autant espéré ne pas avoir à la tenir, car, vois-tu, la décision que tu m’as demandé de prendre au sujet de notre Devis, je devrai, peut-être aussi, la prendre à mon sujet.


Alex s’arrêta pour réfléchir un peu. Puis, il continua de frapper les touches du clavier avec l’intention d’aller jusqu’au bout de ses contrariétés :

À quoi sert-il de vivre si l’on doit perdre tous ses souvenirs ? À quoi bon survivre à l’oubli de la cause de ses désirs ? Sans ma mémoire, c’est le naufrage de l’empreinte de mes sens si essentielle au tracé de notre devenir. Tu comprendras que dans cette expectative , il ne semble plus y avoir de futur pour nous. La maladie a déjà commencé son oeuvre de destruction impitoyable. Je ne vois pas d’autre solution que de nous séparer, par amour pour nous, par amour pour toi, afin de t’éviter le déchirant choix de partir, et garder nos beaux souvenirs, ou de rester, et faire face à ma morbidité insinuante. Quand il n’y a plus de choix pour continuer, il faut se résigner et accepter le poids de sa destinée. 

 

Ces mots, lui transpercèrent les yeux jusqu’au plus profond de son âme en lui voilant la vue d’un brouillard larmoyant. C’en était trop. Alex s’arrêta de taper en pensant que sa journée avait atteint son trop-plein d’émotion. « Vingt-deux heures trente déjà. Vaudrait mieux prendre le lit maintenant. Demain sera une longue et dure journée. » Alex ferma son ordinateur, plaça le radio-réveil pour six heures, avala un somnifère et alla se coucher. 

 

*

 

Deux heures trente du matin, Mélanie, profondément endormie, subissait les convulsions que son inconscient lui imposait. « Ah non!, fais attention Alex, agrippe-toi à la barre, tiens-toi bien, non…ne lâche pas… » Mélanie, toute en sueur, se réveilla d’un seul bond et se redressa énergiquement jusqu’à s’asseoir droite dans le lit. « Oh! Mais qu’est-ce que c’est ce cauchemar ? Ce n’est pas possible de rêver à de pareilles conneries. Alex doit sûrement penser à moi. Voilà ce qui arrive quand on dort seul, » pensa-t-elle. Mélanie, sans trop chercher à comprendre, se retourna, replaça son oreiller en la tapotant et se rendormit tant bien que mal.

 

*

 

Le lendemain matin, Alex arriva au bureautel à huit heures, posa son ordinateur, ouvrit la chaîne stéréo et partit un CD de musique classique pour chasser l’ambiance fade qui régnait dans sa tête. Puis Alex ouvrit son laptop, le raccorda à l’internet et lut ses messages. Un courriel de son patron lui indiquait que le rendez-vous de neuf heures avait été reporté en début d’après-midi. « C’est parfait ça… ça me donne le temps de terminer ce que j'ai à dire à Mélanie et de tirer une ' pof ' ou deux avant mon prochain rendez-vous, » pensa Alex en ouvrant la lettre qu’il fallait maintenant terminer. La nuit avait porté conseil et Alex décida de se donner une chance en minimisant, pour l’instant du moins, ses idées kamikazes.

 

« ... il faut se résigner et accepter le poids de sa destinée, ah oui! Voilà, c'est ici que je dois continuer. » Mais, rassure-toi après mûre réflexion, j’ai compris, qu’avant de commettre l’irréparable, je te devais une honnête explication et que je l'espère sincèrement, tu nous accorderas l'occasion d'en discuter à mon retour. 

 

Alex s’arrêta un peu pour penser. Des flashs de sa vie commune avec Mélanie lui remontaient à l’esprit. 

 

« Déjà dix ans que nous vivons ensemble. Je me souviens, je l’ai rencontrée pour la première fois lors d’un colloque organisé par l’ordre des pharmaciens du Québec. C’était dans une salle de conférence d’un chic hôtel de la ville de Québec. Lors d’une séance de discussion, elle s’était assise en face de moi en me 'zyeutant' gentiment. Son sourire narquois et son air désinvolte avaient attiré mon regard. J’ai senti, à cet instant, monter en moi l’émotion agréable d’un bien être de vivre, comme si elle avait deviné que je sortais, depuis peu, de la grisaille du mal de vivre infligé par une séparation. Même si elle semblait plus jeune que moi, j’avais très envie de la connaître davantage. J’espérais candidement que, tout comme moi, elle était libre d’attaches amoureuses. »

 

Alex se leva, se servit un dry Martini bien tassé, se rassit, prit une gorgée pour évacuer le désagrément qui irritait sa gorge et laissa se déployer sa réflexion :

 

« À la pause café, elle s’était présentée en me serrant la main. Ce contact corporel avait allumé en moi le vif désir de la connaître plus intimement. Une de ses camarades de travail s’était jointe alors à notre discussion. J’aurais tant aimé lui exprimer mes sentiments, mais voilà, il y avait ce témoin encombrant. »

 

Alex prit une grande respiration et l’expira avec mélancolie.

 

« Au dîner, elle était venu s’asseoir à ma table invitée par mon signe de la tête complice d’une idylle qui allait naître.

- La place est-elle libre? Je peux m’asseoir?

- Mais oui, voyons, je t’en prie, ça me fait plaisir. 

 

Et nous avions bavardé, en passant du corps à l’âme, en échangeant quelques informations sur nos origines, sur nos occupations quotidiennes et sur les choses simples de la vie tels l’amitié et l’amour.

-…et puis qu’est-ce qui est le mieux selon toi, l’amour ou l’amitié? m’avait-elle lancé en souriant.

- L’amitié c’est bien... l’amour c’est mieux, mais l’amitié en amour c’est bien mieux.

- Et philosophe avec ça, avait-elle éclaté d’un rire moqueur. 

 

Je m’abreuvais à la source de sa joie de vivre. Cet instant est encore gravé dans mon cœur, car c’est à ce moment que j’ai décidé de faire sa conquête. »

 

Puis Alex déposa son verre et poursuivit l'écriture de son texte.

 

Et, avant que ne s’effacent, en désordre, les traces harmonieuses de notre dessein amoureux, je veux que tu saches tout ce que je ressens pour toi. Mais comment t’avouer tout mon amour ? Comment t’exprimer la plénitude des sentiments que j’éprouve à ton égard, sinon te dire que quoi que tu décides, je t’aimerai toujours d'amour ? J’espérais d’autres occasions pour te l’avouer, pour te l’écrire, mais dans la vie, je sais maintenant qu’on n’a pas toujours le pouvoir de choisir. Il faut aujourd’hui que je subisse l’irréparable que l’avenir me réserve. Pardonne-moi la douleur que je t’inflige. J’aurais préféré avoir la force de me taire et de te quitter sans dire un mot. Mais voilà, je n’ai pu résister à l’envie de nous découvrir encore, avant d’oublier à tout jamais. Même si bientôt ma mémoire oubliait jusqu’à nos moindres secrets, toujours ma chair se souviendra que tu resteras mienne jusqu’à la fin de mes jours.

 

Perdu dans des cogitations qui entredéchiraient ses tristes envies de vivre et de mourir, Alex poursuivit ses réflexions comme pour se rassurer que ses meilleurs souvenirs n’étaient pas encore détruits.

 

« Et puis, comment ne pas se souvenir de nos premières étreintes amoureuses, quelques jours plus tard à son appartement où elle m’avait subtilement entraîné sous prétexte de me faire écouter une musique classique. Je ne me rappelle plus si c’était cette sublime mélodie ou les “dry gin” qu’elle nous avait servi. Je la voyais si radieuse et complice de mes attentes que je n’ai pu résister à l’offrande qu’elle me faisait de son corps et qu’elle semblait si empressée que je le prenne. Et mes gestes malhabiles qui m’ont dévoilé ses formes voluptueuses, et avec quelle fougue, mes mains et mes lèvres haletantes caressaient l’intimité de son corps plus jeune et plus ferme que le mien. Et que dire de ses caresses suaves qui ébranlaient jusqu’à l’abîme de mon âme enivré par les plaisirs et la jouissance qu’elle me procurait. Et de nos effluves salins qui se mêlaient à nos parfums. Et de la chaleur de nos corps qui enflammaient notre passion impudique, mais oh! combien sensuelle ! De l’état de béatitude, de plénitude et d’extase qui suivit l’assouvissement de nos ébattements charnels. » 

 

Se laissant inspirer par les doux souvenirs qui inondaient son esprit, Alex écrivit les dernières lignes de sa lettre, tapa une douce dédicace, entra l’adresse courriel de Mélanie et pressa l’icône d’envoi. « Neuf heures trente-cinq, il n’est pas trop tard. Un bon joint m'aidera à relaxer et à tuer le temps en attendant mon prochain rendez-vous. » Alex s'allongea confortablement sur le fauteuil le plus invitant de la salle de réunion, s’alluma un joint de cannabis que lui avait fourni son contact de la veille et le savoura en se laissant entraîner par l’état d'euphorie qui l'envahissait malicieusement. 

 

*

 

Et Mélanie de se répéter sans cesse les dernières phrases écrites par Alex « Il n’y a eu que trois femmes dans ma vie; ma mère qui me l’a donnée, toi qui me l’as fait aimer et moi qui en ai profité, jusqu’à maintenant. Mais qui sait ce qu’il en sera de demain? Il ne tiendra qu’à toi de vouloir t’en souvenir pour nous deux. 

 

Alex, ta bien-aimée qui t’aime et t’aimera pour le temps qu’il me reste et pour l’éternité... » Tout en lisant à l’écran de la télé, la bannière de texte qui défilait à répétition au bas de l’image : « 2001-09-11, centre mondial de commerce de New York, des impacts d’avions détournés par des terroristes ont causé la rupture de la structure des tours nord (09:58) et sud (10:27) ce qui a provoqué leur effondrement et entraîné dans la mort de centaines de personnes.»

 

Mélanie, les yeux inondés par les larmes et le cœur noyé dans la rage de l’impuissance, face à son lugubre destin, comprit alors que cet événement, tout aussi inhumain qu’inutile, venait de lui ravir à tout jamais les souvenirs corporels et spirituels d’Alex que l’usure de leur vie commune avait enregistrés dans son enveloppe charnelle.

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