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Mauvais rêve

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Titre : Mauvais rêve

Auteur : © Hervé Hesté 2019

Genre : Nouvelle

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Il fait presque noir. L’air humide de la plaine baigne dans la pénombre d’une lune blafarde. Des gazouillis s’enchevêtrent à de glauques clapotis et à d’obscurs grincements. L’ambiance est grise. Les uns chassent. D’autres fuient. Une odeur macabre infiltre la vallée. Le mystère s’empare de la vie. L’horreur cogite. Une histoire d’épouvante s’organise dans le giron de l’abominable. Puis soudain, d’un seul coup, le bruit meurt.

 

« Allez, Claude, il faut te réveiller, dit Robert en brassant la forme humaine recroquevillée dans le sac de couchage. Nous devons reprendre la route dès maintenant si nous voulons éviter les problèmes et arriver à temps à la maison. »

 

Robert nerveux ramasse ses affaires avec agitation. Claude se réveille à moitié, se dérouille la bouche un peu bruyamment et se retourne en expirant un léger bâillement. Entre le réel et l’imaginaire, Claude, tel un funambule pataud, engage une lutte inégale avec l’appel du réveil et l’attrait du sommeil.

 

« Ah non…! pas déjà…! Je n’ai presque pas dormi, murmure Claude d’une voix somnambule, et puis j’ai fait tout un cauchemar cette nuit; j’ai rêvé que des monstres m’attaquaient. Quelle horreur! Claude ferme les yeux lourdement.

 

- Oublie ton mauvais rêve et ramasse tes affaires qui traînent partout, rétorque Robert d’une voix lointaine venue des abîmes de l’irréel. Dépêche-toi. Il ne faut pas traîner ici. L’endroit est loin d’être sûr. Tu sais, il est arrivé toutes sortes de choses bizarres ces derniers temps dans les alentours. »

 

Robert sort de la tente à la hâte avec ses affaires. Claude se libère de son sac de couchage et l’expédie à l’extérieur. Une odeur pesante d’humidité imprègne la toile de la tente. Claude s’habille en vitesse, ramasse ses trucs et met le nez dehors à son tour. À travers le ciel, encore nuageux, émane la pénombre violacée du jour. Claude dépose ses choses par terre, se redresse et questionne Robert qui s’affaire activement aux préparatifs du retour.

 

« Comment ça bizarres? Quelle sorte de choses? Que veux-tu dire par là?

 

Robert, accroupi sur son sac à dos, pointe l’horizon de l’index.

 

- Vois-tu cette plaine là-bas?

Claude détourne le regard vers l’endroit de la vallée indiqué par Robert.

- Heu… oui! mais qu’est-ce qu’elle a cette plaine?

- Eh bien, imagine-toi qu’il faut la traverser, répond Robert préoccupé.

- Et puis! fait Claude d’un haussement d’épaules insouciant. Je ne vois pas le problème. 

- Il n’y aura pas de problèmes si on la traverse assez tôt et qu’on ne fait pas de bruit.

Claude finit de rouler et d’attacher son sac de couchage.

- Pourquoi…? Pourquoi ne faudrait-il pas faire de bruit? poursuit Claude d’un ton intrigué.

- Je ne sais pas trop, répond Robert, un peu gêné. Mais j’ai entendu dire que la plaine était habitée par des êtres dangereux. 

Claude se lève et réagit brusquement aux propos de Robert.

- D’où tiens-tu ça? demande Claude bouche bée.

Robert, qui perdait patience, monte le ton.

- Tu veux vraiment savoir d’où je tiens ça. 

- Oui, je veux vraiment savoir qui a pu te faire croire de telles balivernes, ironise Claude sceptique.

​

Robert réfléchit un instant et reprit d’une voix un peu plus calme.

- J’avoue que pour l’instant ce ne sont que des rumeurs. Mais, tu dois me croire. Si ces rumeurs sont réellement fondées…

​

Claude presse Robert d’en finir avec le mystère.

- Continue, explique-moi la suite.

- On n’est pas au bout de nos peines.

D’un geste tendu, Claude replace sa longue chevelure noire qui laisse entrevoir un visage crispé par la crainte.

- Alors, tu penses qu’on ne devrait pas traverser cette plaine.

- Non, je n’ai pas dit ça. Il faut partir. On a perdu trop de temps à bavarder, dit Robert en vérifiant, du bout du pied droit, les cendres du foyer rudimentaire ébauché, la veille, à l’improviste.

- Attends un peu. Quel genre de bizarreries la rumeur a-t-elle répandu? contre-attaque Claude, le visage abasourdi. Seraient-ce des mutants, des fantômes, des vampires ou peut-être bien des monstres… comme dans mon rêve? continue Claude en écarquillant les yeux. Parce que si c’est le cas, je ne veux même pas m’approcher de cet endroit. 

Robert dégaine son couteau et avance dans la direction de Claude. 

- Je ne sais pas de quoi tu parles. À quoi ressemblaient les montres dans ton rêve? » rétorque Robert intrigué par la soudaine transfiguration de Claude. Robert saisit une branche d’arbre, juste au-dessus de la tête de Claude et la taille pour s’en faire une perche.

 

Claude, pâle de peur, entreprend de raconter son cauchemar comme s’il s’agissait d’un nouveau rêve. 

« Nous étions plusieurs personnes dans une grande vallée. Il y avait deux sortes de monstres. Ils se présentaient sous des formes distinctes. Ils étaient constitués de différentes textures. Certains étaient gluants...

- Ouache! commenta Robert avec dédain en s’écartant de Claude.

- D’autres étaient volatiles, comme si leur corps était formé d’une épaisse fumée noire et rouge et filiforme. Ils ondulaient comme des serpents au-dessus de nos têtes. 

- De la fumée n’a jamais fait de mal à personne à ce que je sais, opine Robert. Puis d’un ton soucieux, il ajoute : Mais, c’est bizarre ton histoire, il me semble que la rumeur, que j’ai entendue, parlait aussi de ce genre de monstres. 

Claude s’approche lentement de Robert et poursuit en arborant une attitude très solennelle.

- Si un monstre de fumée arrivait à s’enrouler autour de toi et à t’envelopper, il te faisait bouillir jusqu’à ce que tu éclates en mille miettes. C’était horrible à voir! s’exclame Claude les yeux hagards. Je courrais dans tous les sens pour trouver un coin où me cacher. 

Robert finit d’aiguiser un bout de la perche, rengaine son couteau et poursuit la discussion.

- Les monstres t’ont-ils attrapé?

Claude déploie un sourire narquois.

- Non, parce que j’ai réalisé que si je m’agrippais à un objet inerte et que je ne bougeais plus, les monstres de fumée ne pouvaient pas nous détecter.

- Alors, ce n’était pas si terrible que cela tes rêvasseries psychédéliques.

- Non, c’était bien pire encore, car les monstres gluants pouvaient nous voir même si nous étions immobiles.

- Ah ça alors! Tu n’avais pas de veine. Étaient-ils menaçants? Avais-tu un moyen de t’en débarrasser? interrogea Robert piquant brusquement son pieu dans le sol comme pour en tester la flexibilité et la résistance. À le voir, on eût cru qu’il transperçait un vampire.

- D’une certaine façon, oui. Les monstres gluants étaient lourds et collants. Ils se déplaçaient avec peine et lenteur. Mais ils étaient plusieurs et si tu ne prenais garde, ils pouvaient t’encercler.

- Et alors, qu’est-ce qui se passait?

Claude, une main au visage, réfléchit un instant, pour mieux se souvenir.

- Ils formaient une espèce d’anneau visqueuse autour de toi. Puis l’anneau se resserrait sur toi et devenait de plus en plus haut. Tu te retrouvais comme prisonnier d’une espèce de tour en gélatine brunâtre. C’était horrible! 

- Puis… puis, qu’est-ce qui arrivait ensuite? s’exclame Robert qui était de plus en plus pressé de partir au fur et à mesure que Claude dévoilait son histoire lugubre.

- Je m’aperçus que j’étais au centre de trois monstres gluants qui essayaient de m’entourer. Mais (Claude ravale) trois monstres n’étaient pas suffisants pour former une tour. Il en fallait au moins six. »

 

Claude continue son récit en dépeignant l’atmosphère qui régnait. Tout autour et au loin, l’air vibrait ébranlé par les cris atroces des victimes horrifiées par leur impitoyable destin. 

 

« Puis après? reprend Robert en endossant son imposant havresac.

- Quatre autres monstres gluants s’approchèrent des trois qui m’encerclaient afin de m’enfermer et me dévorer.

- Quelle horreur! Qu’as-tu fait pour t’en sortir cette fois-ci?

- J’aurais bien voulu partir en courant, mais malheureusement, deux monstres de fumée planaient au-dessus de ma tête. Il fallait que je reste immobile.

Robert empoigne son pieu resté planté dans le sol. Il s’en sert comme d’un appui afin de contrebalancer sa lourde charge. Il regarde Claude, étonné.

- Tu n’es pas sérieux! Je pense que je commence à comprendre ton mauvais rêve. Les monstres de fumée se sont-ils finalement dissipés? lance Robert pressé d’en apprendre davantage, comme si l’information pouvait lui être utile.

- Pas tout de suite. Il a fallu un certain temps avant qu’ils ne s’intéressent à d'autres, malheureux, qui courraient.

- Et les gluants… Qu’ont fait les monstres gluants durant ce temps?

- Lentement mais sûrement, ils fermaient la boucle. 

- Pouvais-tu encore t’échapper?

Claude replace sa crinière et affiche un air désespéré imprégné de ses mauvais souvenirs. 

- Non, j’étais pris au piège. Ils étaient assez proches les uns des autres que je ne pouvais plus passer entre eux sans les toucher.

- Qu’est-ce qui arrivait si tu les touchais?

- Si tu touchais à un monstre gluant, tu restais collé à lui et tu ne pouvais plus t’en échapper. Les autres avaient alors tout le temps voulu pour t’encercler, former une tour et te dévorer.

- Quelle misère! J’ai peine à croire. Et comment cela s’est-il terminé?

- Il n’y avait pas d’issu possible. Il n’y avait rien à faire. C’était la fin. J’allais y passer! »

 

Quand soudain un cafouillis de sons stridents et énervants claironna dans la vallée. À cet instant précis, Robert sent que quelque chose de lourd et de froid lui prend l’épaule par-derrière.

 

« Robert… Robert, réveille-toi, il faut que tu te lèves. Il est bientôt l’heure de partir, articule sa femme Claude en le brassant. C’est la deuxième fois que le réveille-matin sonne. Nous devons nous dépêcher si nous voulons éviter les problèmes de trafic et arriver à temps au camping du Village des monts Struheux».

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