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La vacherie

dessin d'une vache

Titre : La vacherie

Auteur : © Hervé Hesté 2018

Genre : Conte

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La légende de la vache qui rit demeure aussi énigmatique que le sourire de la Joconde. Même si nul ne connaît l'origine de l'expression, laissez-moi vous en présenter une possible explication. L’anecdote que je vais vous raconter est la pure vérité, j’en ai été témoin, vrai comme je suis là. Le récit concerne Ti-Pic Bolet-Caillé qui est devenu riche et rentier parce qu’il possédait une vache qui donnait du lait sans arrêt. Ti-Pic ne détenait que cette seule vache, tout le monde dans la paroisse le savait.

 

Ti-Pic avait beau la traire pendant des heures et des heures, jamais il n’arrivait à lui vider les pis. Pis encore, tant que la vache bouffait son fourrage, elle fournissait du lait sans relâche. Chaque jour, Ti-Pic s’épuisait à alimenter, à traire et à entretenir sa vache miraculeuse. À peine avait-il le temps de dormir et de manger tellement la tâche était démesurée. Pourtant, chaque jour sa vache meuglait et ruait de grogne parce qu’elle manquait de foin pour se rassasier et de petits soins pour se soulager. Ti-Pic ne pouvait pas s’arrêter de la nourrir, car sa vache serait morte de faim. Il ne pouvait pas renoncer à la traire, car elle aurait éclaté d’un trop-plein de lait . Et il devait satisfaire à tous ses besoins, car il aurait été enterré par le purin. Mais, Ti-Pic n’allait pas se plaindre du surplus de travail causé par cette anomalie de la nature. La vente du lait produit rapportait de gros profits, aussi bien vous le dire, foi de faux pince-sans-rire.

 

Cependant, ses voisins, membres de la même coopérative, n’étaient pas très enchantés de la situation. Ils auraient bien voulu mettre la main sur la vache atypique. Un soir, ils se réunirent à la ferme de Bill Léger, président élu des honoraires, pour discuter d'un moyen approprié d'assouvir leur convoitise. Ils discoururent une bonne partie de la soirée et obtinrent finalement un consensus sur un accord raisonnable facilement transformable en processus. Ils votèrent une résolution et désignèrent Yvan Dulardon, surnommé Ti-Lard le fils du boucher, d’informer Bolet-Caillé qu’il serait dorénavant obligé de partager ses profits avec eux. Ti-Lard fut mandaté pour négocier une offre irréfutable.

 

Le lendemain matin, Ti-Lard se présenta donc à l'étable de Ti-Pic, comme un seul homme, pour lui faire part du choix du groupe. Après les salutations d’usage, Ti-Lard entra dans le suif du sujet. 

 

- Si je suis ici à matin, c’est pour t'instruire de la décision des membres concernant ta génisse qui donne déjà du lait à pleine cannisse, lança Ti-Lard d’un ton chiatique.

 

- Comment ça? répliqua Ti-Pic ébouriffé de stupeur.

 

- Euh! la coopérative reste d’avis qu'il est injuste que tu sois le seul usufruitier des avantages de ta vache. Plusieurs pensent que c’est une gracieuseté de la nature et qu’en tant que tels, tous les membres devraient aussi en profiter.

 

- Il n’est pas question que je partage mon Alisa avec qui que ce soit, riposta Bolet-Caillé d’une voie monotypique.

 

- Il va falloir que tu réfléchisses sérieusement, mon Ti-Pic, parce que j’ai le mandat de t’aviser qu’advenant un refus de ta part, la coopérative se verra dans l’obligation de t’exclure et de ne plus acheter tes produits laitiers, ce qui serait bien dommage il va sans dire. 

 

Ti-Pic porta sa main droite au menton et afficha un air songeur le temps de mûrir la situation. Puis, il se retourna et regarda sa vache avec un sourire béat. « Pardonne-moi mon Alisa, songea-t-il, mais je viens d’avoir une idée qui va rassasier tout le monde. » Puis, Ti-Pic se tourna face à Ti-Lard en arborant une attitude complaisante.

 

- Bien si c’est comme ça mon Ti-Lard, il va falloir que la coopérative accède à mes conditions.

 

- Figure-toi donc mon Ti-Pic que je suis habilité à les écouter et à les accepter si c’est raisonnable, naturellement, répliqua Ti-Lard sur un ton de délégataire.

 

- Bien, voici ma première exigence : je reste le seul propriétaire de ma vache, poursuivit Ti-Pic en remplissant la litière de sa laitière qui mugissait et piétinait d'impatience. 

 

- C'est tout à fait normal, se dépêcha de répondre Ti-Lard. Ta demande est des plus légitimes et crois-moi, loin de nous l’intention de te départir de ton bestiau. Apportes-tu d'autres clauses?

 

- Deuxièmement, c’est la coopérative qui doit nourrir et traiter proprement ma vache à ses propres frais.

 

- Ça alors! C'est justement un des accommodements raisonnables que le comité a retenus hier. Accordé, bien sûr... et pas nécessaire de tant insister sur la propreté, on y verra sans égard aux coûts. As-tu d'autres exigences?

 

Ti-Pic rit dans sa barbe en pensant aux ruades que sa vache lui infligeait quand il en prenait soin. Il poursuivit : 

 

- Oui... en troisième lieu, la coopérative devra traire ma vache, renchérit Ti-Pic en secouant le petit  caca d'eau que la bête prodigieuse venait de lui foirer sur les pieds.

 

Ti-Lard s'esclaffa puis continua en retenant ses rires.

- Ha! Ha! Pas de problème, c'était le deuxième compromis approuvé. Hi! Hi! Mais débattons pourcentage. Combien demandes-tu?

 

- C'est mon quatrièmement point : j'exige cinquante pour cent des gains bruts que vous tirerez de ma vache sans tenir compte de son appétit en brout et de ses envies de « prout prout ». 

 

- Marché conclu, jubila Ti-Lard qui pensait en obtenir un peu moins. Je m'empresse d'apporter la bonne nouvelle au comité. Je peux te certifier que tes demandes seront acceptées.

 

- Oh là! Mon Ti-Lard, je n'ai pas encore fini. Il reste un dernier point à régler. La coopérative s’engage à prendre, en ma faveur, une assurance d’un million de dollars sur la vie et la performance de ma fabuleuse holstein. 

 

Ti-Lard ne voyant là qu’un arrangement de répartition plus que raisonnable se précipita d’agréer toutes les conditions de Ti-Pic et lui signa un contrat officiel d’entente en bonne et due forme.

 

Et depuis ce temps, Ti-Pic Bolet-Caillé n’a plus jamais travaillé, car il est maintenant riche et mène une existence de rentier honorable pendant que tous ses affiliés n’en finissent plus de se relayer pour nourrir, traire et prendre grand soin de sa vache qui beugle aux éclats pour tant de bienfaits prodigués. Elle a enfin trouvé le réconfort qu'elle mérite sans trop souvent lever les pieds arrière. Et malgré ses sautes d'humeur, tous apprécient vachement l'atmosphère quand de contentement la vache rit.

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