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Le beau Guillaume

image wix : quais de gare

Titre : Le beau Guillaume

Auteur : © Hervé Hesté 2017

Genre : Courte nouvelle

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Solidement accroché aux vingt-trois ans de son existence, Guillaume dégustait les amadouements de Madeleine que la vie lui servait en accompagnement. L'air embaumé des odeurs tièdes de la terre titillait ses narines oblongues suspendues à l'arête d'un nez droit. Élancé, de stature robuste, il affichait, avec retenue, son allure de fils unique de bourgeois lettré et engagé. Ses vêtements, sobres et élégants, lui donnaient l'aspect du gentilhomme. Dans un visage maigre, aux traits anguleux, campaient avec symétrie des organes sensoriels bien proportionnés. Une bouche riante, presque moqueuse, lançait aux joies de la vie des sourires émaillés de neige glacée par le redoux. Des yeux céruléens, pétillants, rehaussaient une chevelure de jais ondoyante. Un menton rond adoucissait des voussures mandibulaires athlétiques. Parfois, un haussement d'épaules agité trahissait un tic d’adolescent angoissé. 

 

La jeunesse, une prestance et une bonne éducation arrachée à l'ardeur de ses parents communiquaient le calme et l'assurance dans l'expression de ses propos et de ses émotions. Guillaume possédait la raison du cartésien, l'âme de l'artiste et l'esprit de l'érudit. Cette triple affinité lui conférait les qualités et les défauts de l'incompris. Désirant constamment apprendre de la vie, il s'abreuvait à la nature et à autrui. Son impression d'appartenance à la grande machination céleste embrasait l'avidité de sa conscience. Madeleine était son inspiratrice du savoir, dont il se délectait, du blanc jusqu'au noir. Ordinairement stoïque, il ne craignait pas d'exprimer son affection envers sa bien-aimée. Il voulait qu'elle soit sienne, jamais son ancienne, toujours sa chère Madeleine. Il était beau, limpide, de cette clarté capable d'émoustiller l'amas de laine d'une nymphe. Madeleine le sentait bien. Elle en trempait pour lui et Guillaume en avait déjà goûté le fruit.

 

À travers des nuages en brouille, le soleil avait attisé leurs instincts archéens en les inondant de sentiments câlins. L'air de fin d'après-midi du milieu d'août de 1846 avait raffermi leur peau d'un éréthisme aigre-doux. Là où le petit sentier s'ouvrait sur la place piétonnière du parc municipal, les tourtereaux se laissèrent gagner par l'invite d'un banc banal qui insistait pour les reposer et les accompagner dans la réflexion de leurs intentions ardentes. Ils augmentèrent le pas en ricanant, le temps que l'espace atteigne le siège de leur prétention. Deux grands peupliers, témoins-confidents, enveloppèrent leur conversation de leur silhouette sombre de fraîcheur. Les yeux rieurs, Guillaume écoutait Madeleine avec un doux regard. D'amples gestes de la main appuyaient ses dires et les mots tendres qu'à l'occasion il décochait à la femme de ses désirs. Puis, d'une voix hésitante à l'accent slave, Guillaume osa une cour plus intime, plus grave : 

- La vie te rend-elle heureuse?

- Oui, c'est merveilleux... surtout avec toi, mon seul amour!

- Et que penserais-tu de partager notre amour à quatre?

 

Guillaume vit le coeur, dans la poitrine de sa douce, se débattre.

- Tue-moi si je l'endure, car jamais je n'accepterai pareille injure!

- Mais voyons! Je n'oserais, par tout l'univers, souiller l'âme de notre chair.

- Alors, vite, explique-moi, je t'en conjure.

- J'existe en moi, en toi, en nous, et dans l’autre et toi de même.

- Mais, quel autre? répliqua Madeleine médusée.

- Tout ce qui n'est pas nous... je veux dire, LUI, du Malin jusqu’au Divin. 

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D'un grand geste du bras droit, Guillaume engloba de la terre jusqu'au ciel, les étoiles et toute substance immatérielle. 

- Ah! Je vois... ton amour pour moi est plénitude.

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Guillaume rayonna de contentement et poursuivit, rassuré :

- Oui et je veux que cela dure toute la vie! Que notre bonheur reste ainsi! Ni diminué ni augmenté puisqu’il est maintenant à son apogée. Je veux t'aimer éternellement!

- Moi aussi, je veux t'aimer... toute ma vie!

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Du revers de l'index, Guillaume caressa doucement une joue de Madeleine. Leurs regards remplis de désirs ardents se fermèrent sur l'instant présent. D'un baiser langoureux, les tréfonds de leurs âmes fusionnèrent majestueusement. Du bout de ses lèvres, Guillaume câlina l'oreille droite de Madeleine en chuchotant.

- LUI a très envie de nous!

 

Madeleine sourit de malaise. L'amour porte aussi ses instants de chagrin. Le regret délinquant de leurs premiers ébats hantait encore son coeur bouleversé. Leur attachement était-il assez fort pour apprivoiser les tressauts de leurs passions? Certaines blessures de l'âme, comme celles de la chair, tourmentent l'esprit quand le temps dégénère. Ne devrait-elle pas attendre qu'il lui passe l'anneau au doigt? Sa galanterie et son charme seraient-ils garants du respect de leurs serments? Le cerveau de Madeleine se grisait de la promesse que Guillaume lui avait demandé d'échanger. 

 

« Je te promets que le moi passé t'apportera de maints présents sous le toi de nous-mêmes, pour qu'y erre à jamais notre amour et je veux que l'énergie du futur puisse lui donner la force d'exister, ici et dans l'au-delà, aujourd'hui et pour l'éternité. »

 

Tant de belle habileté verbale pouvait-elle assurer sa fidélité d'animal? Madeleine, la figure tendue d'appréhension et érubescente de gêne, reprit la conversation : 

- Moi aussi, par-dessus toutes les lois de l'univers, je te désire, mais... ne crains-tu pas que notre amour puisse un jour en souffrir? Madeleine leva les yeux, croisa son regard ombragé et poursuivit : 

- ne devrait-on pas attendre d'être plus engagé?

- Peut-être as-tu raison, répliqua Guillaume le visage incolore, la voix tremblotante de remords. J'attendrai le temps qu'il faut. Notre amour est fort, inaltérable, plus grand qu'une simple toquade.

 

La figure de Madeleine s'affaissa de complaisance. Un sourire complice réveilla la bonhomie de son compagnon. Ils se levèrent et, main dans la main, ils poursuivirent leur balade le long de l'allée qui cernait le parc. Leurs lentes foulées, qui ne semblaient les mener nulle part, les ramenaient immanquablement à leur point de départ. Ils atteignirent un segment du sentier qui glissait en pente douce et s'arquait pour contourner un gros bloc de granite verdi de mousse. Sans crier gare, elle lâcha sa main, se mit à taper des paumes et à sautiller autour de lui comme une fillette ingénue qui apprenait à danser. Son visage éclatait de sourires et s'illuminait de ses yeux émeraude. Quand elle riait, la fermeté de ses lèvres sculptait, dans la souplesse juvénile de ses joues, des fossettes et des pommettes appétissantes de goût. En trottinant, elle tourna sur elle-même en échappant des saccades de rires heureux qui pourfendaient la chaleur moite de l'été. Les bruissements de sa robe s'éfaufilèrent avec les effluves de jasmin qu'elle dégageait suavement. Embrouillé par les humeurs de l’extase, Guillaume la humait et la savourait d’un oeil envoûté. Il devint confiant. Il céda aux hormones qui lubrifiaient ses désirs gaillards. 

 

Ils traversèrent une clairière embellie de fleurs et de verdure qui chatoyaient les sens et invitaient à l'écoute de la nature. Empreinte du sentiment d'appartenance à la scène, Madeleine prit le bras de Guillaume en lui souriant d'un regard sans gêne. Affriolée de ses amusettes hilarantes, elle oublia toute convenance et se laissa émouvoir par l'attrait du grand bonheur. Guillaume perçut sa respiration haletante de volupté l'implorant d'exaucer sa convoitise. Il comprit, à la seconde, que ses inhibitions devenaient incertaines, que tout son être demandait qu'il la surprenne.

 

Madeleine savait le regarder en déployant ses plus beaux sourires que ses lèvres humectées invitaient à des moments de tendre complicité. Embarrassée par des attendrissements ardents, elle adopta une attitude conciliante et délicieuse. Le moral atone, l’âme relevée par l’ambiance exubérante, la poitrine gonflée par la sève de la science, les tripes macérées d’envie érotique, sa jeune chair estompée laissèrent monter en elle les sentiments de la concupiscence.

 

Petit à petit, ils se pardonnaient la blessure de leur premier manquement. La verdeur de leurs corps s’inspirait de la somptuosité verdoyante du décor. Arrivés dans une partie droite du sentier qui longeait l'avenue Principale, ils passèrent une troisième fois en arrière de l'auberge « La Licorne ». Il lui serra la main et la regarda tendrement. Le visage à peine rosé de gêne, elle sourit d’indécision telle une jeune amante face à l'achat d'un déshabillé provocant. Il n'y avait pas de doute, la connivence de leur ange gardien voulait en refaire des amants. Devaient-ils donner suite à l'appel instinctif de leur matière charnelle? Le rappel de leur alcôve dominerait-il leur réticence? Resteraient-ils sur l'appétit de leur faim? Même si seul le divin auteur de la Grande Oeuvre le savait, le malin, inlassablement, les tentait. 

 

Et vous, lecteurs-témoins de la scène, j'en suis certain, espérez une suite à l'auberge, tout en secret. Mais voilà, les ardeurs amoureuses étant ce qu'elles sont, n'y a-t-il pas à ce récit plus beau dénouement que celui qui laisse à chacun d'imaginer son aboutissement.

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