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La catin fantoche

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Titre : La catin fantoche

Auteur : © Hervé Hesté 2017

Genre : Courte nouvelle

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Je me tenais là, assise sur un tabouret rêche, les miches meurtries et l’air un peu pimbêche. Le corps moiti par la chaleur accablante de l’été. Mes seins proéminents rehaussaient le corsage de ma robe rouge appétissant de volupté. Les jambes croisées, une cuisse effrontée, j’affrontais les yeux médusés des hommes excités par l’envie fugace de me posséder pour assouvir leur instinct de bête, encore mal contrôlé et imbibé dans leurs hormones depuis l’origine de l’humanité. 

 

Une coupe à la main, une main sur la croupe, je minaudais les habitués libertins, les pupilles perdues dans une glace de regards qui me dévisageaient en pleine face et me reluquaient l’arrière-train avec audace. D’un oeil inquisitif, je scrutais le reflet de la salle à l’affût d’une proie grisée par son instinct d'animal. Je draguais le mâle pas trop avare du salon-bar « Le Sexus ». « Moi, Marie la pure, je suis la catin fantoche et gare à celui qui s’approche, car il devra en défrayer la note pour le reste de sa pâle vie d’ilote. »

 

Comme tous les soirs, j’allais aux asperges et errais de place en place à la quête de ma pitance en échange de mes beaux atours charnels, que je louais, indifférente à tous ceux qui voulaient bien me couvrir d'oseille. Mais, comme une rose qui se fane à trop longtemps s'allaiter de l’eau croupie de son soliflore, petit à petit, mon âme se flétrissait du gavage de l’amour lubrique et sans effort.

 

« Il ne faut surtout pas que ma fille, comme moi, répète les mêmes bévues du métier de la rue. » Mon coeur se lassait et ma vie croupissait. Mon esprit n’avait rien amassé et mon corps abîmé se mourrait d’ennui d’avoir trop souvent mal baisé. À l'instar de l’automne qui suit l’été, mon âme était de givre et creuse de sensualité. Et comme le vent automnal qui module le retour hivernal, le vide qui trépidait en moi sonnait, sans doute, le glas de ma vie immorale. 

 

Même si tous feignaient d'écouter mes ébats d’âme, mon coeur rageait que seul mon corps prônait ma réclame. Au printemps, si Dieu le veut, je changerai de métier. Je renaîtrai de mon refus de stagner dans la fange de l’amnésie élective de mes souvenirs. Car, même épuisée, il faut accepter la vie avec vaillance et puiser à sa source intarissable l’envie de continuer impérissable. 

 

Petit à petit s'accomplit le miracle qui me sortit de ma débâcle. Aujourd’hui, j’ai quitté la profession de la chair pour celle de romancière. Cette mue m’a permis de retrouver ma dignité de mère et le bonheur d’être la mamie adorée d’un petit amour que je catine sans être son fantoche.

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